Panel du Prix Littéraire NDS au salon de livre d’Istanbul, Tüyap 2011

L’extrait des interventions des conférenciers au panel du Prix Littéraire NDS au salon de livre d’Istanbul, Tüyap 2011

Ayfer Ünal, est l’auteur de nombreux livres, participe à des travaux d’intérêt collectif et est membre de diverses associations.

Dr.Erdak Atabek, médecin et auteur qui aborde très sérieusement les problèmes de la jeunesse.

Yalçın Tosun, lauréat du Prix Littéraire NDS 2011. Diplômé de l’Université de Galatasaray et actuellement maître de conférence à l’Université de Bilgi.

Ayfer Ünal :

Il y a un sujet que l’Occident a déjà laissé de côté, mais qui est toujours en débat chez nous : y a-t-il une littérature pour la jeunesse ? Les caractéristiques de base de cette littérature : le fait d’être rédigée pour les jeunes, d’être lue par les jeunes, de présenter un personnage jeune et d’être écrite dans la perspective du jeune. L’adolescence est une période de transformation, le jeune y apprend à se connaître. C’est pourquoi, le jeune doit se retrouver dans l’œuvre qu’il lit. Les auteurs qui écrivent sur les jeunes doivent avoir des connaissances profondes et être particulièrement attentifs et scrupuleux dans leurs écrits, à cause des états d’âme changeants des adolescents. Les jeunes forment leurs vision de la vie et leurs concepts moraux grâce aux personnages des œuvres qu’ils lisent. Dans cette phase, la littérature a la caractéristique de montrer la voie aux jeunes, d’être pédagogique. Aucune œuvre ne corrige la psychologie du lecteur, mais elle peut l’aider à se former une vision du monde, elle peut constituer un support de communication commun entre l’adolescent et l’adulte. Si la Turquie demeure très pauvre en ce qui concerne la littérature de jeunesse, on observe cependant, depuis ces dix dernières années, des travaux et des progrès non négligeables dans ce domaine. Suite à diverses études, nous constatons que nos jeunes ont peur de l’avenir. Passons de ce stade au sujet de l’espoir : l’espoir est la condition sine qua non d’une bonne littérature, et la caractéristique commune des œuvres de littérature pure, qui éveillent de l’espoir, c’est de considérer le lecteur comme son égal, de comporter des personnages bien constitués et de ménager des espaces d’interprétation au lecteur.

Erdal Atabek :

Mon avis sur la littérature de jeunesse est le suivant : il n’y a pas de littérature pour la jeunesse, et les jeunes doivent lire toutes sortes d’œuvres. L’enfance, l’adolescence, l’adulte et la jeunesse ont deux fondements. Le premier est corporel, physiologique et hormonal, et le second, social. Les hormones ont un rapport avec l’âge, au contraire de la maturité. L’enfance est la période où on grandit et on se développe ; l’adolescence est la période où, en grandissant et en se développant, l’être vivant explore et expérimente ; la maturité est la période de la découverte et de la connaissance ; quant à la vieillesse, c’est la période où on se lasse et on abandonne. A tout âge, on peut tout réapprendre. L’espoir vient du mot espérer. « Espérer », c’est ce qui n’a pas été réalisé mais qui peut se réaliser, et c’est cette particularité qui le distingue du rêve. Il est faux de généraliser le fait que les jeunes aient ou non de l’espoir. Cela varie selon les individus et selon la situation dans laquelle on se trouve. « L’espoir » est un voyage vers l’avenir. Dans ce cas, vous arrivez à un croisement de route. Une de ces routes est d’attendre des autres ce que vous voulez, c’est un rêve qui engendre à la fois récriminations et regrets. L’autre route est celle de la détermination. Si vous acceptez l’espoir comme une détermination, vous aurez devant vous une voie difficile, mais significative. De nos jours, lorsque nos jeunes doivent choisir une de ces voies, ils sont poussés à choisir la voie la plus facile et cela provoque chez eux des problèmes de concentration. Je ne pense pas que nos littéraires aient pour mission de corriger cette situation. On ne peut charger la littérature d’une telle mission. Moi, je voudrais dire ceci : dans ce croisement de route, ne confondons pas l’espoir et l’attente d’autrui. L’espoir est quelque chose que nous réalisons, nous, et chacun a son propre espoir.
Ataturk est un espoir, car Ataturk est une décision. Lui, il avait de l’espoir car il n’attendait rien de personne. Je dis aux jeunes, ceci : Espérez tant que vous pouvez et utilisez toutes vos forces pour le réaliser. Alors, la vie vous appartiendra et alors, vous serez à même de comprendre ce que vous avez donné à la vie et ce que vous avez reçu de la vie.

Yalçın Tosun

l’envie de s’accrocher

« Umut » (l’espoir ), dit-on, est un mot créé par Yaşar Kemal ; c’est-à-dire qu’avant les années 1950, on utilisait les mots « ümit » (l’espoir) et « ümit etmek » (espérer). Le fait qu’un néologisme ait ainsi été adopté et se soit trouvé une place solide dans la langue est important. Bien sûr, la relation entre l’espoir et la littérature ne se limite pas à cela, mais le fait qu’il s’agisse d’un mot engendré par la littérature ne signifie-t-il pas qu’un lien existe déjà entre les deux ? Écrire, c’est l’enfant de l’espoir, au même titre que l’imagination. La majorité de ceux qui écrivent espèrent que des gens les liront.
Lorsqu’on dit « espoir », un des premiers mots auxquels on pense, c’est la jeunesse. On estime qu’espérer sied mieux aux jeunes, comme si, lorsqu’on est jeune, on y avait davantage droit. En fait, chaque espoir comporte en lui une attente, et les attentes exigent d’avoir du temps devant soi. Quant on est jeune, ce qui tourne le plus la tête, qui fait le plus planer et s’alléger, c’est peut-être l’infinité des probabilités qui sont à venir. On a l’impression que tout peut arriver. On ne veut être convaincu de rien, ou en d’autres termes, on a le luxe de ne pas être certain. Or, lorsqu’on prend de l’âge, l’on a envie d’être sûr de certaines choses, sans quoi, l’on a l’impression que notre vie fut vaine. On avance sur des eaux plus sûres, mais plus calmes.
Quant aux jeunes, face à leurs espoirs en abondance, ils auront souvent de grandes déceptions. Y faire face, les prendre en charge et entre-temps, chercher de quoi s’accrocher pour pouvoir être ‘’quelqu’un’’. Je pense que tout ce voyage doit avoir un rapport avec la littérature.
Aujourd’hui, le fait d’être jeune ne donne pas suffisamment de moyens pour espérer. C’est pourquoi, nous qui vivons dans un pays où il existe plein de raisons pour tomber de jour en jour dans un désespoir grandissant – jeunes ou vieux – nous rêvons de nous accrocher à des choses et d’en tirer des forces. Je pense que la littérature et la lecture ont un rôle majeur dans cette aventure de résignation. Mais ce dont je parle ici, c’est ce qui reste en dehors des livres qui ne visent qu’à divertir, ou à passer le temps, et que nous appelons « la littérature pure ». En fait, les jeunes ont de la difficulté à accéder à la littérature pure. Il leur faut tout d’abord disposer de larges perceptions afin de comprendre leur époque et éviter de sombrer dans le désespoir ; pour cela, la lecture constitue la plus grande aide. Bien sûr, la lecture provoquera l’inquiétude, car elle vous rendra plus conscient. Bien sûr, pour ceux qui ne se perdent pas dans leurs pensées ni ne sombrent dans le désespoir, l’espoir n’aura pas de sens non plus. Dans ce cas, on en revient à notre point de départ : l’espoir est ce dont nous avons le plus besoin dans les moments où de désespoir... Un désir de s’accrocher.